34ème jour: Wait and see
"Il n’y a point de chemin trop long
à qui marche lentement
et sans se presser ;
il n’y a point d’avantages trop éloignés
à qui s’y prépare par la patience."
Jean de La Bruyère
Photo de Dick Daniels ©
A l'école de la vie, les blessures marquent davantage le passage des années que les épreuves victorieuses.
A trente ans, nombre d'entre nous comptent leurs cicatrices, et songent avec amertume que leurs réserves d'enthousiasme se sont épuisées, avec l'envol de leurs illusions.
Malgré tout, avec cynisme, nous harcelons le sort pour qu'il nous fournisse en doses d'amour, en rations de sexe, le tout enrobé d'un peu de tendresse, s'il vous plaît.
Mais le sort, ce sagouin, continue de se dérober...
Il y a quelques jours, un ami - cinquième année, trois balafres- m'a raconté dans un sourire l'une de ses dernières toquades. Alors qu'il sillonnait l'Afrique, son regard fut attiré vers les cimes des arbres. Là le ciel semblait moucheté d'une multitude de nids, bourgeonnant sur les branches retombantes des saules pleureurs. Emerveillé par ces paniers savamment tressés, mon ami s'est tourné vers un autochtone pour s'enquérir de l'essaim d'oiseaux dont ils étaient l'oeuvre.
- Non, non! C'est le travail d'un seul mâle! lui a répondu l'habitué. Le Tisserin construit plusieurs nids. Il vole maintes fois, jusqu'à vingt kilomètres à la ronde, pour tisser ses nids, lentement, patiemment, à partir de fines fibres de feuilles, d'herbes et de brindilles. Puis il appelle les femelles. Lorsqu'une femelle est séduite, elle entre dans le nid et en teste la solidité en donnant des coups de becs. Si le nid ne lui convient pas, elle s'éloigne, à tire d'ailes. Et le mâle de reprendre son travail jusqu'à donner satisfaction...
J'ai toujours un petit faible pour les histoires où les hommes s'appliquent à combler nos désirs.
L'enseignement que je tire des aventures du Tisserin dépasse cependant largement tout triomphalisme. Je ne sais pas si les mâles de cet espèce sont animés par la moindre frénésie au moment où ils préparent leur "home-sweet-home". J'aime penser qu'ils sont tout absorbés dans leur tâche. Qu'ils s'y enfoncent comme l'on s'enfonce dans la fraîcheur de l'eau en été. Que le lent tressage des fibres et des feuilles se révèle à eux comme un dessin merveilleux, une succession de mouvements qui vous fond dans l'atmosphère comme une danse voluptueuse. Le bruit environnant sonnerait à leurs oreilles comme une infinité de mélodies, et cette méditation deviendrait une prière dont ils ressortiraient tout engourdis et délassés.
Plus la concentration serait dense, plus le mouvement serait gracieux. Plus l’absorption serait intense et plus le nid deviendrait, un monde où accueillir, un être avec qui partager et perpétrer, la générosité de notre univers.