C'est l'histoire d'une fille rêveuse, d’une planète étonnante, de secrets inavouables, et d’un stylo qui tache.

118ème jour: Some things are best left unsaid

118ème jour: Some things are best left unsaid


”(…) certaines histoires d'amour il faut les raconter à l'envers...Elles
sont plus belles, et comme ça on est sûr d’avoir un happy end. »
Juan Perez Escala


Il écrit qu’en fait il ne s’appelle pas Miguel.
Il a un peu lu mon blog, il a adoré, il trouve des fois dans mes mots des très belles tournures qui l’inspirent. Pour sa prochaine pièce sur une fille qui part chercher son père dans l’au-delà. Il dit qu’il est triste, pas content, que je ne veuille pas de sa proposition d’entretenir avec lui une relation épistolaire.

C’est le printemps. En 2012.
Dans six mois, je mettrai les voiles sur un monocoque de 33 pieds avec Mon Capitaine, sur la Mer des Caraïbes.
J’ai trente ans et pas mal de  poussières au compteur, mais les hommes regardent toujours mes fesses.
« Miguel » ne sait pas ça, puisqu’il a seulement « un peu lu mon blog » qui est parfaitement anonyme. Mais moi, je le sais. Et je sais aussi que j’ai fait un peu ma bêcheuse, avec « Miguel ».

Je le sais encore plus le lendemain, quand je vais voir s’il est vraiment illustrateur, metteur en scène, et si ses spectacles sont vraiment aussi poétiques qu’il le dit.

Ils le sont.

Je lui réécris, je lui dis que moi aussi, j’ai adoré, ses dessins, ses extraits de spectacle, que je veux bien lui montrer mes créations s’ils me montrent les siennes.

Il ne répond pas.

Onze ans plus tard, je ne tourne plus mes phrases, je ne tourne plus tellement, d’ailleurs. J’orbite autour de Mon Capitaine. Quinze ans que je suis éblouie, par ses sourires audacieux, son cœur immense, et son appétit pour la vie.
Mais Mon Capitaine, lui, il n’est pas vraiment ébloui ces jours. Il est agacé, irrité, crispé. Alors moi, je danse, d’un pied sur l’autre, entre révolte et résignation, je cherche le chemin du retour.

Ce soir,  je m’assieds au milieu du public, notre fille au premier rang, là-bas, où c’est écrit « enfants », le Capitaine à côté de moi, loin, si loin.
Le rideau s’ouvre sur un homme dans son atelier, il peint une marionnette, sous l’œil attentif de toute sa tribu. Il raconte, Ernesto, le magicien, Gaston l’acrobate, les enfants de dix ans qui connaissent plus de façons de tuer que d’aimer, et moi j’essaie de me rappeler d’où vient cet accent.
Je me dis aussi que cette douceur-là, cette tendresse pour les humains, ça pourrait m’empêcher de chavirer si Mon Capitaine prenait le large avec une fille qui aurait, bien sûr, le pied marin. Elle.

Une pensée me traverse la tête, je crois que celui-là, c’est peut-être bien celui qui n’est “pas Miguel”.
Tout de suite, je me moque, de moi-même, et de mes grandes « intuitions ».

Je le laisse quand même me prendre par la main, et souffler

“quand on n’arrive pas à dormir : c’est qu’on
dort déjà dans le rêve de quelqu’un d’autre.…

et

(…) quand on meurt on arrive dans un endroit où on retrouve toutes les
choses qu'on a perdues au cours de notre vie.
Lui, il va trouver un petit camion qu’il a perdu quand il avait dix ans, un
talkie-walkie, des outils, pleins de stylos, des lunettes, et la confiance de son
père...”



A la fin, j’écrase deux grosses larmes qui refusent de se ranger avant que la lumière ne s’allume. J’espère que dans le noir, personne n’a vu ma bouche se déformer. Quand même, sur l’affiche il était écrit « dès huit ans » et j’ai plus que cinq fois huit ans.  

Malgré tout, il y a quelque chose en moi qui s’est habitué à l’idée que ce soir j’ai rencontré «Pas Miguel ». J’ouvre mon téléphone, je regarde mes vieux messages, ceux d’il y a onze ans, et je trouve, comme ça, comme si on me l’avait tendu « Salut, Bon, pas de problème, du coup, je te dis tout, mon vrai nom est (…), et pas Miguel, je suis argentin, je suis illustrateur, et metteur en scène, (…), je fais des spectacles poétiques de marionnettes pour adultes ».

Quand je le dis à Mon Capitaine – qui est toujours très occupé avec sa hargne – et à ma fille, cette dernière est comme qui découvre que sa maman connaît la star. Elle me tire par la main pour que nous allions le voir. Mais en même temps, qu’est-ce que je pourrais bien lui dire, à ce gars-là, que je suis celle dont il a aimé la façon d’aimer le monde, il y a onze ans ?
Je n’ai plus trente ans, et pas plus tard qu’hier, un enfant m’a dit que j’avais un gros derrière.
Je veux pas dire, mais ça serait bien aussi que j’arrête de dormir dans le rêve de quelqu’un d’autre, parce que maintenant, ça se voit sur moi, que je ne dors pas.

Je lui écris quand même, à son adresse de l’époque. Et puis aussi à celle de sa compagnie.
Il ne répond pas.
La bêcheuse bêchée.

Avec ça, il devient vital de reprendre le cours de mes pensées, là, juste là où je l’avais laissé, il y a pas mal d’années..
Je ressuscite mon blog de l’époque « Le Grain de Sable », je range les billets ici.
J’écris, j’écris, et quand je n’écris pas, je pense à ce que je vais pouvoir écrire.

Je ne dors toujours pas.

Ou pas beaucoup.
Mais au petit matin, il n’y a que mon corps qui est fatigué.
Dans mon cœur, le réverbère s’est rallumé.


 


 

 

 Pour en savoir davantage sur ce spectacle magnifique

Photo de Adonyi Gábor ©

119ème jour:  Je te laisserai des mots

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117ème jour: The fire burning

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