C'est l'histoire d'une fille rêveuse, d’une planète étonnante, de secrets inavouables, et d’un stylo qui tache.

4ème jour: Faire du noir une couleur de lumière

4ème jour: Faire du noir une couleur de lumière

Il faut faire du noir une couleur de lumière"
Clémence Boulouque
(Extrait de "Mort d'un Silence")
Je ne suis pas très douée pour l'impuissance.

Quand le sort s'acharne sur les personnes qui me sont chères, quand la maladie ou la mort les enlèvent à mon avenir, je réponds le plus souvent par la fuite. Ma première pensée est presque immédiatement "je n'ai pas le temps".

Parfois, j'en veux même à la personne concernée de venir perturber mon quotidien en m'imposant une peine que je n'ai pas choisi de vivre.

Outre la fuite, j'ai toutes sortes de stratégies pour faire comme si la vie continuait sans heurts ni remous. A choix, l'optimisme forcené (que d'aucuns appellent la dénégation, mais que m'importe), la banalisation, l'observation détachée de ce que l'événement fait aux autres, etc.

Ma grand-mère de 91 ans est malade. Les médecins n'essaient pas de la guérir, et elle réalise sans trop y croire que cette maladie l'emportera. C'est une question de semaines, peut-être un mois, tout au plus. Dans 25 jours, elle aura 92 ans et dans 26, j'en aurai 30. Croyez-moi si vous le voulez, mais je lui en veux de venir ternir cette date importante dans mon existence. Tout comme je lui en ait voulu, à ma dernière visite en Irlande, d'avoir été si distante à mon égard. Comme deux étrangères.

Détrompez-vous, ma grand-mère a toute sa tête. Sans doute, une conscience un peu moins aigue des événements lui aurait-elle d'ailleurs été bénéfique. Mais non, jusqu'à récemment, on pouvait la compter parmi les meilleures joueuses de "Bridge" de la région, et aujourd'hui encore, leucémique ou pas, elle ne manque pas d'arroser son entourage de ses pointes de sarcasme et d'un franc-parler d'un humour décapant.

L'image d'Epinal voudrait que les mourants fassent preuve d'une générosité et d'une grandeur d'âme exceptionnelles, je devine qu'ils sont au contraire affolés et absorbés par eux-mêmes. C'est ainsi que je m'explique, en tous cas, la froideur récente de ma grand-mère à mon égard.

Tant mieux! Voilà qui m'arrange! Qu'à cela ne tienne, nous ne ressentirons RIEN, ni l'une ni l'autre, et ma vie continuera comme si tout cela n'était que pure banalité. Après tout, on ne peut pas dire que la mort la fauche bien avant l'heure. "Elle a quand même 92 ans" dis-je à mon entourage quand ils s'inquiétent de mon détachement.

Même pas mal.

Dans "La Mort du Vazir-Moukhtara ", Iouri Tynianov raconte "On est à l'enterrement d'un ami. Que le soleil brille et qu'un oiseau chante et l'on s'aperçoit avec horreur, qu'on est heureux".A l'enterrement de ma grand-mère, je n'aurais pas à avoir honte de me surprendre heureuse. Je n'entendrai pas le chant de l'oiseau et le soleil ne brillera pas.

Car la vie n'offre ce genre de délices qu'à ceux qui trouvent le courage de voir qu'une grand-mère, ça vous apprend à jouer aux cartes. Une grand-mère, ça vous prépare des gâteaux, dont la confection est longue et fastidieuse, parce qu'ils sont vos préférés. Une grand-mère, ça vous regarde grandir du coin de l'oeil, cherche en quoi vous lui ressemblez, admire les qualités qu'elle aurait aimé avoir, regrette les différences qui vous sépare... Mais s'émerveille de la femme que vous êtes devenue. Une grand-mère reconnaît en vous la grâce d'une danseuse parce qu'elle a dansé, vous offre un verre quand vous avez du chagrin parce qu'un verre ça vous remet une femme triste sur pied.

Une grand-mère, ça s'en va en regardant sa fille et ses petites-filles, avec la satisfaction du travail accompli, terrorisée devant sa mort mais prête à refermer le Grand Livre.

Même pas mal.

Photo de Kristin Smith ©

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