C'est l'histoire d'une fille rêveuse, d’une planète étonnante, de secrets inavouables, et d’un stylo qui tache.

119ème jour:  Je te laisserai des mots

119ème jour: Je te laisserai des mots

Photo de Mitch Kesler ©

A Nathalie Athlan

"Il n’y a qu’un passé et il n’existe qu’un seul présent, par contre il y a une multitude de futurs, mais seul l’un d’eux se réalise."
Philippe Geluck / Et vous, chat va ?

Est-ce que j’aurais pu mourir ?
Nous prenons le petit déjeuner, et elle demande si en mai, quand j’ai passé 18 nuits à l’hôpital, j’aurais pu mourir.

Les statistiques disaient une personne sur vingt. Mais les infirmières affirmaient qu’elles n’avaient jamais perdu personne, de cette histoire-là.
Et puis, on était en Suisse, et comme disait l’autre « (…) C'est propre la Suisse. On peut pas attraper [la mort] en Suisse; on peut attraper que des médicaments en Suisse »*.

Alors j’ai attrapé des médicaments, et j’ai guéri.

Mais elle, elle demande encore, de temps en temps, si j’aurais pu mourir.
D’un petit air détaché, et, il me semble, sans effroi.
Est-ce qu’à huit ans, on peut vraiment comprendre tout ça ?

Je me dis que peut-être, elle vérifie, les détails de cette histoire un peu croustillante, pour mieux la raconter à ses copines. Ou que dans les moments de colère, son imagination l’emmène, un peu malgré elle, vers toutes sortes d’horizons, avec ou sans moi.
J’essaie de la rassurer qu’elle a le droit. Celui-ci et aussi celui-là.

Et qu’en vrai, je ne meurs pas.

Pourtant, dans le journal,  à la page des hommages, j’ai trouvé l’autre jour le nom d’une amie.
Nous ne nous voyions plus depuis longtemps, mais, son souvenir me faisait encore rire et sourire. Pleurer, aussi, parfois.

A l’heure où je me plaisais à collectionner les mauvais garçons, les chagrins d’amour, la peine et la résignation, elle avait fini par s’offusquer « Mais c’est toujours la même histoire, il n’y a que le prénom qui change ! ».
Un autre soir, avec elle et quelques compères, j’avais évoqué, ma première débâcle professionnelle, les heures solitaires et nocturnes à déménager mes affaires pour rendre les locaux de mon entreprise en liquidation.
J’avais raconté, il me semble, d’un air détaché et sans effroi.
En relevant la tête, j’avais rencontré ses joues, couvertes de larmes.
Sur son visage, j’avais vu mon humiliation, ma tristesse, mon désenchantement, les années à porter seule, le poids de mes mauvaises décisions.

A la lecture de son nom dans le journal, j’ai d’abord fait le calcul.
Sa fille doit compter une vingtaine d’années. Vingt ans que mon amie se bat avec la maladie.
Je n’ai pas pu m’empêcher de sourire. Jusqu’au bout, elle aura porté les siens, avant de souffler, enfin.

Aujourd’hui, au petit déjeuner, ma fille demande, d’un air détaché, et sans effroi, si j’ai failli mourir, et si la maladie pourrait revenir. Je dis non, parce que c’est vrai, cette maladie-là ne reviendra pas.
Mais je la prends quand même là tout contre moi, au creux de ce ventre, où, avant, je sentais ses frétillements.
Et j’essuie, son détachement, son indifférence, pour faire place à l’effroi, la terreur, le chagrin et la peine.
Parce qu’avec l’aveu de détresse, viennent les amis, ceux qui pleurent et rient pour vous, l’Amant qui vous tient la main quand le matin se lève,

Et la joie d’être vivant.



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