30ème jour: Sshh...!
Photo de Dave Sackville ©
"Sans les gestes, c’est la pudeur qui disparaît, la transparence qui s’installe."
Philippe Delerm
La première gorgée de bière
Certains jours, les secrets semblent éclore dans mon entourage comme de petites feuilles vertes et tendres. Une minute, elles n'étaient pas, celle d'après, elles semblent avoir toujours existé.
Je ne sais pas de quelle rosée elles se gorgent pour pousser leur premier cri. Lorsque je m'improvise source, le silence fait loi.
Le plus souvent, je salue ces mots, tenus captifs, comme l'on fête la libération d'un être cher. Je reconnais la peur, les doutes, l'embarras, ces tortionnaires qui faisaient taire mon interlocuteur. Je les amnistie immédiatement pour que mon camarade puisse connaître un soulagement que j'ai connu.
Pourtant, certains mystères salissent le silence. Je voudrais que l'autre puisse les ravaler, les faire disparaître dans un néant inexplorable. Je m'appliquerai à garder le secret que l'on m'a confié, mais je donnerais cher pour que l'on paie ma caution.
Ce sont les déclarations qui trahissent l'égarement de mon ami qui m'encombrent, ses stratégies pour ne pas s'avouer d'autres vérités. Un chagrin trop grand pour être nommé, une débâcle trop cuisante pour être reconnue, un brouillard trop épais pour qu'on y voit clair,... et voilà l'ami fuiant vers d'illicites oublis qu'il voudrait que je partage.
Mais voilà, les confidences ne sont pas toujours celles qu'on croit et les gestes pudiques en disent souvent plus long que ces déballages de véreuses pseudo-vérités. Passée la colère d'être prise en otage, je reconnais parfois au-delà des mots, les bourgeons qui cherchent un peu d'eau, et je sais que bientôt... de petites feuilles, vertes et tendres...
J'écoute mon interlocuteur me parler des horizons qu'il rejoindra bientôt, leur grâce et leur grandeur, tous les rêves qu'il y réalisera. Et mes rêves s'animent à leur tour, se pressent au portillon de mon esprit, réclament d'être poursuivis et matérialisés. J'aime voir la lueur qui éclaire le regard de mon ami et je feins volontiers un désarroi sans précédent à la perspective de cette désertion imminente.
Le plus souvent, l'ami en question ne s'en va pas, ou du moins pas beaucoup plus loin qu'en "vacances". Mais son retour parmi nous s'accompagne des fanfares de ceux qui viennent de percer un mystère. Quelque chose comme ouvrir les yeux après un très long somme. Retomber amoureux de sa vie.